((ino and bacchus)) ; liz

((ino and bacchus by foley, 1851, photograph))
août 2023

Il ne te l'avouera jamais, Liz, mais tu as été la première à qui il a envoyé l'invitation.

Sans réfléchir, qui plus est ; tout en haut, en lettres penchées, tu avais dominé la liste des invités, parce qu'il lui avait paru inconcevable de ne pas te montrer les fruits de son labeur, et de te les faire goûter. Voit, comme ils sont rouges et sucrés !

L'exposition étant dédiée au chevauchement entre art moderne et art contemporain sur le continent américain, la dernière partie de l'exposition avait été consacrée à la photogaphie.

Nous ne noterons pas les coup d'oeils insistants et répétitifs d'Amaury vers toi durant cette dernière partie de la visite, Liz, aussi subtils qu'un flash en pleine figure. Il croit se souvenir d'une conversation où le sujet avait été abordé ; peut-être l'a-t-il imaginé, mais il se racroche encore désespérément à ce souvenir, dans l'espoir de prouver quelque chose, sans doute.

La soirée avance, l'endroitse vide un peu, et il peut faire deux pas sans être accosté par un visiteur, car là réside ce qui vous sépare encore : il ne rabroue jamais personne, quand il est question d'art. Alors, quand la plus grande partie des invités sont partis et qu'il peut naviguer les lieux sans s'essoufler, il cherche ta longue silhouette impeccable.

Et quand il la voit, il prend le temps d'épousseter sa veste de costume et de remonter ses lunettes, avant de s'élancer.

- Madame Oliveira ! il articule chaque syllabe avec un enthousiasme mal dissimulé. Pardon, je n'ai pas pu venir te voir avant, comme tu as pu le voir, la visite s'est un peu étirée. Elle n'aurait pas du durer aussi longtemps, je ne sais pas ce qu'il s'est passé, c'est un véritable mystère.

Il a les yeux écarquillés d'innocence, et la bouche coupable et sèche d'avoir parlé pendant de longues minutes sur chaque oeuvre, au lieu de la visite courte et concise qu'il avait promis à l'entrée. Véritable mystère, oui, sans doute. Les visiteurs ne s'en étaient pas plaints, pourtant ; ou il ne les avait simplement pas écouté.

- Et après ça, la sécurité n'a pas arrêté de me tenir la jambe. Je te jure, les artistes sont de plus en plus paranoïaques depuis cet incident à Londres -tu vois duquel je parle bien sûr, il ajoute avec ce qui se veut être de la complicité. Comme si des militants canadiens allaient venir jeter de la poutine sur leurs oeuvres pendant un vernissage privé. J'espère qu'ils ne t'ont pas fouillée à l'entrée, ce serait vraiment risible. Et puis, s'il y avait un coupable, ils n'auraient qu'à suivre l'odeur.

De quoi parliez-vous, déjà ?

- Enfin, revenons-en à nos moutons et à nos chèvres ; tes impressions ? Loin de moi l'idée de te soudoyer, mais il reste encore quelques coupes de champagne, si le coeur t'en dit.

Sa propre coupe en équilibre entre deux doigts, il se balance légèrement d'un pied à l'autre, aussi discrètement que faire se peut. Si Amaury avait été né labrador plutôt qu'Homme, on aurait sans doute pu appercevoir dans son dos une queue touffue et agitée, qu'il aurait secoué aussi vite qu'on prononce "Liz".

ino and bacchus
// amaury - août 2023

Il n'y a pas si longtemps, elle traînait ses talons à l'intérieur de ces endroits spacieux où le vide accueillait toutes sortes de choses, tout le temps. Périodiquement, les humains se lassent des couleurs et des représentations attachées aux murs blancs. Il y en a toujours pour s'intéresser aux objets du moment qu'ils sont posés sur un pied d'estale.
Et chaque regard, aussi unique qu'il soit, s'accepte du moment qu'on ne vient pas nous poser de questions. Ainsi, l'admiration est tout aussi valable que le mépris, à condition d'avoir ses raisons. Mais aussi, il semble que les musées soient un lieu de rencontre, entre celles et ceux qui n'ont pas peur de partager leurs idées.

Elle avait facilement fait le lien avec sa cible qui semblait apprécier plus que d'autres ses visites, alors même qu'il les conduisait, ses mots et ses convictions aisément revendiqués.
Le contact était passé ; et par la suite, Liz entrait sans s'imposer, puisqu'elle se voyait souvent invitée. Aujourd'hui ne fait pas exception. Le bruit de ses pas se perd dans les directions des autres et les multiples conversations. Son regard à elle, qui veille patiemment sur celui qu'elle couvre - s'était dissipé dans les yeux des autres qui se posaient un peu partout. Alors qu'ils se croisaient souvent, tout en s'évitant involontairement - la visite suivant son cour, jusqu'au saluts, la salle se vidait après quelques mots échangés et des regards se faisant de plus en plus distants.

Liz était restée devant un de ces murs orné de photographies, prétextant un état trop captivé pour défaire son regard de là où il s'était posé - dans le vide, pour être honnête.
Amaury n'avait pas tardé à la rencontrer, la sortant aussi vite de cet aspect faussement figé, elle s'était retournée vers son interlocuteur avec un grand sourire - comme si elle ne l'avait pas venu venir.

« Oh Amaury ! ne t'en fais pas je n'ai pas vu le temps passer. »

Sans oublier qu'elle était venue pour lui, principalement. Elle se voyait à nouveau l'écouter, sans que ça ne l'ennuie - le plus dur étant de répondre sans passer pour ces gens peu cultivés qu'ils pouvaient critiquer à tout moment. Ses visites récurrentes des musées couplées à la compagnie d'Amaury l'avaient néanmoins préparée à la plupart des questions.

« vraiment ? oh non, on ne m'a pas fouillée, encore heureux ! Et tu as raison, je ne vois pas ce genre d'incident arriver dans une exposition aussi peu controversée. »

Elle riait sans trop se forcer, puisque aller dans le sens d'Amaury n'avait rien d'une obligation. Et ces échanges triviaux ne portaient aucune complexité. La question suivante en revanche, Liz devait s'y préparer.

« tu ne perds pas de temps. avant de te répondre, je veux bien me laisser soudoyer. »

Elle s'était sans souci dirigé vers là où les verres avaient été posés, guidant le pas, profitant de s'inventer quelques phrases réfléchies sur l'exposition au rythme de leur marche.
Elle fit résonner son verre contre le sien, avant de prendre une gorgée. Tournée vers une extrémité de l'exposition, un banc faisant face aux photographies de la dernière partie du vernissage les attendait.

« si tu veux, on peut s'asseoir par ici. ça doit être fatiguant ce genre d'événement, non ? »

Elle lui aurait presque avoué que ses propres talons commençaient à l'épuiser, mais son sourire restait intact, alors qu'elle prenait enfin la parole.

« franchement, le début de cette exposition était vraiment enrichissant. Ce n'est pas seulement intéressant de voir l'art être influencé par un contexte historique et social… mais les transitions entre chaque œuvre étaient vraiment bien agencées, comme à ton habitude, tu sais mettre les choses en place pour qu'elles attirent l'œil… et reflètent entre elles leur véritable valeur. »

Elle reprit une gorgée.

« Oh, je te prie de m'excuser si je parle trop. »

Feignant la retenue, elle tenait à se couper avant d'arriver à court de mots. Et surtout, elle entretenait cette habitude où Amaury était celui qui parlait. Elle s'attendait de toute façon à se faire couper, à un moment ou un autre. Sans que cela ne la dérange, puisqu'il lui semblait que son guide attitré lui renvoie son sourire. Et tant que Liz le gardait ainsi, ainsi son rôle était rempli.

HRP: